Si je parle souvent des éditions MeMo à travers leur fondamental travail de rééditions patrimoniales, la maison publie également des auteur.ices contemporain.es dont elle suit le travail et déniche régulièrement de jeunes talents. Avec ce premier album édité, je découvre avec joie et intérêt le travail de Jeanne Saboureault, autrice, illustratrice et graphiste formée aux Beaux-Arts de Bruxelles et vivant à Lyon, où elle est membre du collectif Bourrage Papier à l’origine d’un très bon festival autour de l’illustration indépendante.
Dans cet album, le jeune Siméon ne parle pas mais s’exprime grâce à un tambour qui ne le quitte jamais. Un jour, celui-ci disparaît, laissant le désarroi envahir le petit garçon. Après l’avoir cherché partout dans la maison, voilà qu’une nuit, il part à sa recherche dans le jardin puis dans la forêt environnante à la nature luxuriante dans une quête devenant initiatique.
Le tambour ici représente autant un moyen d’expression, un repère qu’un refuge bien au-delà de l’habitude d’un doudou. Ce lien fort et évocateur entre l’enfant et son tambour met en lumière l’importance du bruit pour lui, pour se faire entendre, se rassurer, se défouler, pour prendre sa place dans le monde, se sentir exister et être remarqué des autres sans parler. Le halo de percussion autour de lui et dans son sillage en est aussi protecteur qu’annonciateur de sa présence. Face à la perte de cet instrument, Siméon se retrouve désarmé, nu, sans moyen d’expression ni repères face au silence et à la solitude. Entre fragilité et dépendance, voilà qu’il recherche alors du bruit par tous les autres moyens, peu satisfaisant au souvenir de son tambour : il tape sur des casseroles, gratte avec ses ongles, frappe ses bottes entre elles…

Si l’on pense en parallèle à Oscar, le petit garçon du roman Le Tambour de Günter Grass, qui refuse de grandir, ici, la perte du tambour devient émancipatrice et le récit initiatique. Après une phase de déroute, de perte totale de repères, si l’obsession est toujours de retrouver son instrument, en chemin, le monde lui apparaît différent tel qu’il le découvre alors dans sa quête du tambour. Se confrontant à, plus qu’affrontant, la nuit et l’inconnu, voilà que tous ses sens sont mis à contribution dans cette exploration. L’enfant découvre, de son attention minutieuse, son environnement d’une oreille neuve, cela aiguisant son œil et ses autres sens qui ne sont plus parasités et se laissent envahir de sensations nouvelles. Le silence assourdissant du début est apprivoisé petit à petit pour le découvrir pas si silencieux à travers les bruits de la nature, des ailes d’oiseaux qui bruissent, des feuilles qui volettent, un criquet surprenant qui provoque même le premier rire de l’enfant. En osant écouter et explorer ce silence relatif, il découvre une multitude de bruits et de choses auxquels il ne faisait pas attention, qu’il couvrait ou chassait de son tambour.
De cette découverte sous un nouveau jour du monde qui l’entoure, le petit garçon en vient à une découverte progressive de lui-même, jusqu’à la surprise du son de sa propre voix. Sa quête pour retrouver son tambour en devient une, par les explorations en chemin, pour grandir sans lui, sans cette béquille. Il y a là l’idée d’une nouvelle façon d’être au monde, avec le monde plutôt que de s’en protéger. En allant progressivement vers cette possibilité de partage, l’enfant pourra retrouver son tambour différemment, plutôt que de l’abandonner. Des sons bruts, par ce cheminement, il en arrive à découvrir et envisager les harmonies possibles d’une musique pouvant devenir apaisante.

Le texte de l’autrice, porté par une élégante typographie créée par Max Esnée, reprend le rythme de l’enfant percussionniste en le suivant entre frénésie, douleur et douceur avec beaucoup de subtilité et de musicalité en jouant sur les sonorités et répétitions. Avec finesse, Jeanne Saboureault évoque ici sans les convoquer les question de la différence, voire peut-être de l’autisme, de la confiance en soi et de l’émancipation.
En parallèle, le travail graphique développe une intéressante réflexion autour de la représentation du bruit et du silence. Les couleurs, poussées par un pantone magenta et une impression en tons directs, sont contrastées dans des teintes vibrantes de rose, orange vifs jusqu’aux violets ou verts plus sombres de la nature nocturne. L’usage de l’encre et de l’aquarelle apporte des contours flous, des effets de halos avec peu de tracés. Ces effets de contrastes saisissants entre représentation de l’enfant, de sa chambre, des paysages et fonds parfois abstraits mêlant les couleurs donnent à voir les vibrations des percussions, les mouvements et les sons autant que la douceur contemplative et subtile du silence relatif.
Le Tambour, Jeanne Saboureault, éd. MeMo, 18 euros, à partir de 5 ans.
Pour retrouver l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 71 min environ).
Pour plus d’informations sur Jeanne Saboureault et sur les éditions MeMo.